Le maniement des hommes by Thibault le Texier

Auteur:Thibault le Texier [Texier, Thibault le]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782707190260
Éditeur: La Découverte
Publié: 2015-12-18T05:00:00+00:00

Un art de l’efficacité, non du profit

Le premier sens du terme « management » se fait jour loin des institutions capitalistes que sont les banques, les commandites, les bourses, les foires et les marchés. Le foyer, point nodal du premier management, vise à satisfaire au confort et aux nécessités des membres de la communauté familiale. Pratiquant longtemps une économie de subsistance, on peut se demander si cette institution a jamais recherché le profit pécuniaire.

Le bon développement des enfants, la propreté, la beauté, l’hospitalité, le bien-être : voilà le management domestique. La maison produit des valeurs d’usage bien davantage que des valeurs d’échange. « L’économie, au sens où nous entendons le mot, signifie le fait d’être bien et heureux126 », dit sans détour l’éditorial du premier numéro de The Economist. De l’avis du professeur de faculté Mabel Atkinson, une maîtresse de maison efficace reçoit, « pour récompense de sa bonne gestion, non pas une augmentation de salaire ou des profits plus élevés. Sa récompense n’est, en fait, pas pécuniaire du tout, mais elle consiste dans le surcroît de bien-être de ceux qu’elle sert127 ». Pareillement, pour Marion Talbot et Sophonisba Breckinridge, « les bénéfices d’une gestion scientifique de la maison doivent aussi s’exprimer en termes de confort, de satisfaction, de plaisirs, de croissance, d’éducation ainsi que d’efficacité individuelle et collective128 ».

La comptabilité tournée vers un profit pécuniaire reste une considération très secondaire des premiers manuels de management. Ce thème apparaît d’ordinaire dans les miscellanées qui peuvent leur tenir lieu de conclusion. La comptabilité est louée pour l’ordre qu’elle instaure à la ferme ou chez soi, et l’on trouve, çà et là, quelques conseils quant à l’importance de bien gérer ses revenus, de ne pas vivre à crédit, de garder soigneusement ses comptes et de conserver factures et reçus – mais guère plus. Dans leur ouvrage de référence sur le management domestique, Catharine Beecher et sa sœur cadette consacrent un chapitre à l’importance du lever matinal, un autre au soin des animaux domestiques, mais quelques paragraphes seulement à la comptabilité129. De même, John Henry Walsh juge opportun d’allouer onze pages de son Manuel d’économie domestique aux liqueurs fermentées, contre moins d’une seule pour les « comptes du foyer et le total des dépenses ordinaires130 ».

Des différents personnages peuplant la première littérature managériale, le fermier semble le plus proche de l’entrepreneur investissant judicieusement son capital et soignant ses actifs. Les manuels de management des fermes empruntent souvent à l’imaginaire capitaliste, parlant volontiers capital, profit, valeur, utilité, propriété, loyer, crédit, investissement, coût, bénéfice, marché, achat, vente, revenu, gain et dépense. Cependant, que l’exploitation soit conduite pour le profit ou pour le plaisir, cela n’affecte guère la logique managériale qui la sous-tend de part en part. Lorsque les auteurs de manuels de gestion agricole discutent explicitement de gains pécuniaires, c’est clairement en vue d’attirer de jeunes gentlemen dans la profession. La modernisation des fermes américaines n’a d’ailleurs pas été menée par des entrepreneurs avides de profits mais par l’État fédéral, sous la houlette du ministère de l’Agriculture et d’écoles spécialisées.

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